Le cannibalisme

 

Si le sujet ne tient pas une part importante dans La destruction des Indes, Las Casas fait néanmoins référence au cannibalisme à deux ou trois reprises. Pourtant, loin de faire des Amérindiens des monstres affamés de chair humaine, l’impression donnée est plutôt qu’il s’agit d’un cannibalisme « circonstanciel ». Il faut entendre par là un cannibalisme forcé par le contexte.

 

Ainsi, Las Casas donne comme exemple cette mère qui se voit obligée de manger son enfant afin de ne pas mourir de faim : « [Il] advint qu’une femme enragée de faim tua son fils pour le manger. »

 

Il apparaît ici qu’il s’agit d’un contexte particulier lié à la survie même, et non à un quelconque rituel religieux, guerrier, ou coutumier : c’est manger ou mourir.

 

Le cannibalisme des Amérindiens peut même apparaître comme forcé par les conquistadors, comme il est montré dans cette gravure : l’anthropophagie rituelle des Indiens apparaît encouragée par ceux dont l’éthique exige son éradication.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Théodore de Bry, XI. La boucherie de chair humaine (Guatemala)

 

À l’avant-plan, à droite, un enfant est placé sur le grill, à côté de lui des hommes sont forcés de manger des parties de corps humains sous les ordres d’un conquistador. Les enfants et adultes taillés en pièces rappellent fortement le massacre des Innocents, thème de prédilection de la peinture maniériste et baroque utilisé chez de Bry. Derrière un Indien portant une ancre se trouve un étal rempli de membres humains tenu par deux européens. Les scènes en arrière-plan sont toutes des représentations d’un esclavage omniprésent et d’une supériorité espagnole. Les soldats semblent indifférents face à leurs actes : ils représentent le pouvoir avec leurs armes et leurs vêtements occidentaux.

 

De Bry, par ces divers éléments, tente de montrer au lecteur l’inhumanité des Espagnols, ce qui paraît normal étant donné que Las Casas veut briser la domination des conquistadors sur les Amérindiens : il ne va dès lors pas donner aux Européens des motifs supplémentaires pour accentuer leur cruauté.